Nagasaki, les Senbazuru de Sadako
Le 9 août 2024, lors de la commémoration du bombardement atomique de Nagasaki, le maire de la ville a refusé d'inviter l'ambassadeur israélien, Gilad Cohen, tout en conviant le représentant de la Palestine au Japon, Waleed Siam. En réaction, plusieurs ambassadeurs occidentaux représentant l'Australie, l'Italie, le Canada, l'Union européenne, l'Allemagne, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé qu'ils ne participeraient pas à la cérémonie.
L'absence des ambassadeurs occidentaux aux commémorations de Nagasaki, notamment celle des États-Unis, est non seulement arrogante, mais aussi profondément méprisante. Le refus de participer à cet hommage aux victimes des bombes atomiques, indépendamment des raisons politiques invoquées, témoigne d'un manque de respect pour l'histoire et la mémoire collective. Les États-Unis, en particulier, ont une responsabilité morale de reconnaître l'ampleur des destructions causées par les bombardements atomiques, et leur absence ne fait que raviver des blessures non cicatrisées. Le largage de la bombe atomique par les États-Unis a causé la mort de 60.000 à 80.000 personnes sur le coup.
Deux jours plus tôt, à Hiroshima, c’est la vie d’une petite fille qui bascule. Sadako Sasaki, deux ans à l'époque, était dans sa maison avec sa mère, à 1,6 kilomètre de l’épicentre. À 11:02, Sadako est projetée par la fenêtre de sa maison. Tout comme sa mère, elle a survécu à l'explosion sans présenter de blessures externes.
Sadako Sasaki, March 1955.
Sadako était une athlète talentueuse et une coureuse rapide, son rêve était de devenir professeure d'éducation physique au collège. Sélectionnée parmi les meilleurs élèves de son école, sa classe a remporté la journée sportive d'automne, le 25 octobre 1954. Cependant, à l’aube de 1955, alors qu'elle avait douze ans, elle a été diagnostiquée d’une leucémie due à l'exposition aux radiations, la maladie de la bombe.
Allongée sur son lit d'hôpital, Sadako a entrepris de plier des grues en papier, les senbazuru, utilisant les papiers d'emballage de ses médicaments. Inspirée par une légende japonaise selon laquelle celui qui plie mille grues en papier verra son vœu exaucé, elle espérait guérir, et que d'autres comme elle se rétabliraient aussi.
Le 25 octobre 1955, Sadako demande à son père de lui préparer un dernier chazuke, du thé vert dans un bol de riz, accompagné de prunes de saumon, parfois. Malgré une lutte acharnée contre la maladie pendant huit mois, Sadako s’éteint. Elle avait 12 ans.
Dans un geste de solidarité et de paix, des millions de personnes se sont mises à plier des senbazuru pour honorer sa mémoire. En un an, dix millions de grues ont été envoyées à Hiroshima. Les grues se retrouvent aussi au mémorial de Nagasaki. Les grues en papier de Sadako symbolisent la paix. Elles représentent des vœux de guérison et de bénédiction pour les autres, l'espoir pour un monde sans guerre.
Senbazuru at the Nagasaki bombing centre.
Qui porte la mémoire de Sadako ? La décision des États-Unis est d'autant plus préoccupante qu'elle va à l'encontre des enjeux actuels liés à la menace nucléaire. À une époque où la prolifération des armes nucléaires et les tensions géopolitiques s'intensifient — avec la Russie notamment — il est essentiel de rappeler l'horreur de ces événements. De plus, l'intérêt croissant du public pour ces questions est manifeste. En témoigne le nombre record de visiteurs au Musée du Mémorial de la Paix de Hiroshima, avec un peu moins de deux millions de personnes au cours de l'année passée. Ignorer cette commémoration, c'est ignorer l’héritage de Sadako, c’est ignorer la montée des préoccupations globales face au spectre toujours présent de la destruction nucléaire.
Les États-Unis étaient bien présents à la commémoration du 6 août à Hiroshima, ce qui rend d'autant plus maladroit leur refus de participer à celle du 9 août à Nagasaki en raison de l'absence d'invitation pour l'ambassadeur israélien. C’est l’hypocrisie d’un État qui a par le passé tué des milliers d'innocents à Hiroshima et Nagasaki, et qui refuse de participer à une cérémonie où Israël, qui est accusé de crimes similaires aujourd'hui, est absent. Le rendez-vous est manqué.
La communauté scientifique n’a en revanche, pas perdue la mémoire de la bombe. L’horloge de la fin du monde, créée en 1947 par les scientifiques du Bulletin of the Atomic Scientists, place l’humanité à 23:58:30. Cette métaphore visuelle symbolise la probabilité d'une catastrophe mondiale, en particulier celle causée par les armes nucléaires ou le changement climatique, minuit marquant la fin du monde. Plus de 200.000 personnes ont perdu la vie suite aux bombardements de Hiroshima et Nagasaki.